Lionel Tardy, écrivain Livres À propos Agenda Blog Boutique

Mode sombre

Après quelques articles liés à ma «vie d’auteur», je souhaitais revenir à des sujets plus techniques. Aujourd’hui, je vous parle donc de la méthode que j’emploie pour écrire mes histoires. Alors? Suis-je plutôt un architecte ou un jardinier? Réponse au fil de ce billet.

Brasser des tonnes d’idées

Au commencement sont les idées. Des inspirations soufflées par des lectures, des films ou des jeux vidéo. Des personnes ou des traits de caractère que j’observe au fil de mes rencontres. Des émotions ressenties tout au long de mon quotidien. Des situations anecdotiques ou importantes qui me marquent… Les idées jaillissent à tout moment, sans prévenir. Soudain, c’est l’illumination: j’ai l’impression de tenir quelque chose, je dois le noter. (Et vite, sinon j’oublie!)

«Tu pourrais m’envoyer un message avec: Kanako, sashimis et sauce soja?»

Le genre de demande que ma compagne peut entendre lorsque je suis au volant et que je n’ai pas les mains libres.

Au fil des semaines et des mois, ces notes macèrent en arrière-plan de mes pensées. Des ébauches de récit apparaissent. Rien de très concret, juste des esquisses d’intrigue qui, mises bout à bout, forment à peine un résumé.

L’essentiel, durant cette phase, consiste à accumuler et à laisser infuser. À un certain point, le fil de l’histoire se dessine.

Trier les briques

Je peine à l’expliquer, mais je sens très bien quand le moment est venu de passer à la suite. Je commence à trier et à classer mes notes. Puis, je remise les idées qui ne collent plus avec le futur scénario et j’étoffe celles qui semble avoir du potentiel. L’occasion aussi d’entreprendre un round de documentation pour enrichir le contexte.

Ensuite, je formule un synopsis général. Quelques paragraphes qui placent la situation initiale, introduisent la problématique et ébauchent le développement jusqu’à la résolution.

En prenant garde de ne pas trop rentrer dans les détails, le but est de poser le fil rouge qui servira de base à la suite du travail.

Selon l’ampleur de l’intrigue, c’est à ce moment que je divise éventuellement le roman en plusieurs parties.

Du synopsis aux chapitres

Impossible d’attaquer la rédaction à ce stade! (La réponse à la question posée au début de cet article commence probablement à s’esquisser dans votre esprit.) Pas de traitement de texte à cette étape, pour construire l’histoire, je suis beaucoup plus à l’aise avec un tableur.

Le but est de découper le récit en chapitres, puis de structurer leur contenu. Les chapitres sont divisés en sections. Pour chacune, je définis la temporalité, le lieu, le point de vue, la typologie (action, réflexion, déplacement, etc.) et l’intensité. J’ajoute aussi un résumé de cinquante à cent mots détaillant les événements qui s’y passent.

Travailler dans Excel me permet de rapidement déplacer des sections et de tester des enchaînements sans me perdre dans l’écriture.

À la fin, j’obtiens une vision d’ensemble de la trame. Je repère en un clin d’œil les points faibles et je peux les ajuster avant d’attaquer les choses sérieuses.

Si mon histoire introduit de nouveaux lieux, de nouvelles factions ou de nouveaux personnages, je prends encore un moment pour les décrire afin de mieux cerner ces éléments.

Au terme de cette étape, j’obtiens:

  • un synopsis détaillé
  • un fichier Excel qui établit la structure
  • des notes organisées (environ 5000 mots) détaillant les éléments annexes

Vaincre l’angoisse de la page blanche

Grâce à ces trois ressources, aucun risque de baliser face à la page blanche qui m’attend!

La première étape de cette phase consiste à poser le «script» de chaque chapitre. Le but est de planifier l’enchaînement et la nature de chaque paragraphe. Encore une fois, dans l’idée de simplifier le travail de rédaction. Cela me permet de vérifier en amont la cohérence des séquences. Par exemple, pour éviter une succession de descriptions ou s’assurer que les actions des personnages se déroulent correctement au fil d’un dialogue.

Enfin, j’attaque l’écriture! À partir de là, rien de spécial… j’enchaîne les mots et les phrases, remplaçant au fur et à mesure le script par une narration construite. La formulation se fait dans la douleur, mais, petit à petit, le récit prend sa forme définitive.

Arrivé au bout d’un chapitre, je le relis immédiatement. Petit passage dans Antidote2 afin de lisser le texte et m’assurer qu’il soit déchiffrable par autrui.

Quand tous les chapitres sont terminés, je les envoie en alpha lecture. Le tout doit maintenant reposer, parfois plusieurs mois. L’occasion de commencer le travail sur la partie suivante ou de penser au projet livre.

Réécrire et se dire qu’on a fait de la ***

Quelque temps plus tard, quand les premiers retours sont arrivés, j’attaque la réécriture.

J’examine en premier les commentaires liés au déroulement général (longueur, problème de rythme, renseignements manquants, etc.) car leur prise en compte impacte la structure dans son ensemble.

Après quoi, je reviens sur chaque paragraphe. Grosse prise de conscience: ce texte a été écrit avec les pieds! Coup de pied aux fesses. Je retravaille la formulation, je supprime les informations inutiles, j’améliore le show don’t tell3, j’élimine les répétitions et des verbes faibles. Souvent, je récite mon texte à voix haute. Le but est de rendre la lecture fluide, limpide et agréable.

Quand tous les chapitres ont été traités, j’envoie le tout à mon équipe de bêta-lecture. À nouveau, j’ai besoin de laisser reposer et de me changer les idées.

On prend les mêmes et on recommence

Après réception des dernier retours, c’est reparti pour un tour!

Je repasse sur chaque chapitre, chaque section, chaque paragraphe afin d’optimiser les détails. Selon le nombre de personnes participant à la bêta-lecture et aux corrections, cette étape peut avoir lieu plusieurs fois de suite. On repasse sur le texte, on repasse sur le texte, encore, encore, et encore…

Si toutes les parties du roman sont terminées, le manuscrit est prêt. Avant de le soumettre à l’édition, je le lis une ultime fois sur mon iPad. Le changement de support offre un autre regard et la contrainte du stylet restreint la quantité de modifications par page.

Voilà donc ma démarche de travail. Trois ans à suer, résumés en quelques centaines de mots 🥵.

Alors? Architecte ou un jardinier? La réponse semble assez limpide.

Pour tout vous dire, j’ai mis en place cette façon de procéder de manière assez artisanale et intuitive, au fil des textes que j’ai écrits. J’avancerai toutefois l’hypothèse que cette méthode, itérative à l’extrême, découle de ma formation de développeur. La conception d’un logiciel ou un site étant des tâches coûteuses, elle requiert une planification minutieuse.

Et vous? Est-ce que cette démarche vous parle? Comment vous y prenez-vous pour écrire les histoires qui trottent dans vos têtes?

Notes

  1. Le W-Plot est un modèle de construction narrative où l'intrigue suit un motif en forme de W, avec des hauts et des bas alternés – montées de tension suivies de chutes, puis nouvelles montées –, créant un rythme dynamique qui maintient l'engagement du lecteur ou spectateur tout au long de l'histoire.
  2. Antidote est le logiciel de correction que j’utilise. Découvrez l’article que j’avais écrit à ce sujet.
  3. Le show don’t tell est un principe qui consiste à révéler les informations, émotions ou traits de caractère à travers des actions, dialogues et descriptions concrètes plutôt que par des déclarations directes. Par exemple, au lieu d’écrire «Kanako éprouvait de la colère», on montrera ladite colère: «Kanako claqua la porte si fort que la pendule se décrocha du mur.»

En savoir plus

Un excellent article de Julien Hirt qui explique les différentes méthodes d’écriture.

https://julienhirtauteur.com/2018/07/18/les-trois-types-dauteurs/

Commentaires (4)

Cette phrase m’a fait mourir de rire : «Tu pourrais m’envoyer un message avec: Kanako, sashimis et sauce soja?» xD
Plus sérieusement : pendant longtemps, je me considérais comme architecte. C’est en lisant des partages comme les tiens que je me suis rendue compte que je suis davantage jardinière. Vraiment davantage.
Je trouve fascinant qu’on puisse autant préparer son roman et ne pas avoir l’impression de l’avoir déjà écrit. Et je trouve super intéressant que la rédaction de ton premier jet se fasse dans la douleur, alors que tu as tout préparé en amont. Sur ces points, on est presque opposés, mais il faut dire aussi qu’on n’écrit pas dans les mêmes genres (pas encore, du moins), et que certains demandent davantage de préparation méthodique.
Pour avoir lu ton premier roman et bêta-lu un morceau de la suite, je peux affirmer ici que tu as gagné en « humanité » dans le processus. Je ressens mieux ce que tu veux nous transmettre et j’apprécie davantage ton univers au fil du temps qui passe. La méthode se bonifie avec le temps, mais ta capacité à toucher ton public aussi.
Alors, tout grand succès pour la suite ! Et vivement que je découvre le reste des aventures de Kanako. 🙂

Stéphanie Manitta, le 4 juin 2025 à 17:18

Le premier jet se fait dans la douleur car je suis était mauvais en français et je suis perfectionniste. Donc j’avance lentement et ça me frustre. La deuxième partie de ton retour me fait chaud au cœur. C’est toujours agréable de savoir que notre pratique évolue dans le bon sens. :–)

Lionel Tardy, le 4 juin 2025 à 22:47

Répondre

Super intéressant !
Merci pour tes astuces d’écritures et les exemples.
On prend conscience de tout le travail qu’il y a pour créer tes histoires.

Colombe, le 3 juin 2025 à 21:59

Merci pour ton retour :–)

Lionel Tardy, le 4 juin 2025 à 18:09

Répondre

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