À force de voir passer des annonces « Cherche bêta-lecteur » sur les réseaux, j’ai décidé de tenter l’expérience. L’occasion de découvrir des récits qui n’ont pas encore été publiés et de changer de perspective en adoptant le rôle du critique.
La bêta-lecture est une étape importante du processus d’écriture. Elle consiste à soumettre son texte à des personnes hors de notre projet afin d’obtenir leurs impressions avant d’entamer à la réécriture. (Promis, je rédigerai un article sur les phases qui composent la création d’un roman.)
Les retours attendus vont au-delà du simple « j’ai (pas) aimé ». Commentaires sur le fond : incohérence dans l’intrigue, problème de rythme, manque de profondeur des protagonistes, soucis dans la construction de l’univers… Ou sur la forme : erreur de formulation, surabondance de répétition, etc. Évidemment, on souligne également les points positifs. Le but est d’être pointu, objectif tout en faisant preuve de bienveillance.
C’est donc dans cet esprit que j’ai entamé, en août dernier, Dans l’ombre des liés, un roman fantasy de cinq cents pages écrit par Caroline Leirande, autrice en devenir que je suis depuis quelque temps sur Instagram1.
Et ? C’était une bonne expérience ?
En tant qu’ex-rôliste, je suis toujours heureux de plonger dans des mondes imaginaires. J’ai apprécié l’étape d’analyse et la suggestion des pistes d’amélioration.
Découvrir ce manuscrit m’a aussi aidé à prendre du recul sur mon propre travail. J’ai remarqué des similitudes entre le récit de Caroline et les premières versions de *Terres sauvages*. Des erreurs sans doute spécifiques aux personnes qui débutent.
Cette bêta-lecture m’a permis de réfléchir sur la manière de rédiger mes textes et de porter un regard critique sur ma pratique.
Si c’était une si bonne expérience, pourquoi tu dis, dans le titre de ton article, que c’était la dernière ?
Parce que j’ai failli attraper une tendinite à force de rédiger des commentaires avec le stylet de ma tablette !
Plus sérieusement : à cause du nombre d’heures que j’y ai consacré. Analyser l’histoire et prendre des notes demande du temps. Cinq minutes par pages, au minimum, soit une quarantaine d’heures pour l’ensemble du roman. Une dizaine d’heures ensuite pour revenir sur certains points et mettre au propre mes retours. Le processus s’est terminé par une visioconférence de trois heures avec Caroline pour les expliquer mes commentaires et échanger avec elle. Un investissement conséquent en termes d’énergie.
Exemple d’annotation sur une double page du roman Dans l’ombre des liés.
J’ai étalé le travail sur deux mois et demi… Une période durant laquelle je n’ai lu aucun livre. Après avoir fait une heure de bêta-lecture, j’avais le cerveau vidé. Impossible de me changer les idées avec un bouquin, je passais automatiquement en mode « analyse ». Aussi, je n’ai presque rien écrit entre août et octobre.
J’ai trouvé difficile de concilier bêta-lecture et écriture. Les Aventures de Kanako Sawada restent ma priorité. Je ne m’engagerai donc pas sur d’autres bêta-lectures.
Et pour Kanako ? Tu travailles avec des bêta-lecteurs.
Évidemment ! J’ai un «vrai» bêta-lecteur ainsi qu’un groupe de personnes aux profils variés qui procèdent à des lectures plus légères.
Nicolas est celui qui effectue une analyse en profondeur de mes manuscrits.
L’histoire de notre rencontre est assez cocasse : en tant que critique sur le site yozone.fr, il avait publié une chronique très mitigée de Terres sauvages2. (J’étais hyper vexé.) Toutefois, ses remarques étaient pertinentes. Quand j’ai appris qu’il pratiquait la bêta-lecture, je l’ai contacté pour savoir s’il était intéressé à m’accompagner sur le second tome. Aujourd’hui, notre collaboration se poursuit sur le troisième volume.
Lorsqu’il me rend ses commentaires, je suis complètement découragé, j’ai envie d’arrêter d’écrire. (Et si j’allais élever des chèvres en Ardèche ?) Mais ses analyses sont extrêmement pointues. Il parvient à considérer le récit dans son ensemble et à identifier les problèmes à travers l’ensemble des chapitres. Grâce à son regard, je peux pousser mes textes beaucoup plus loin.
Gilles, ami d’enfance et militaire de carrière, s’attache à vérifier la cohérence et le réalisme de l’aspect guerrier de l’univers. Bien sûr, il ne se prive pas de souligner les mauvais passages et de me dire, sans filtres, ce qui lui a déplu. (Pour la cinquantième fois, tu parles des « lueurs colorées dans la nuit ». Stop !). Les séances de retour, qui se déroulent généralement autour d’un bon repas, sont toujours l’occasion de discussions enrichissantes.
Simon, autre ami d’enfance, passionné de manga et de SF, s’est penché (bien qu’il n’écrive pas) sur la question des légendes qui façonne les récits et à la manière dont ils s’articulent selon des mythes ancrés dans la conscience collective. Comme il a vu de centaines de films et lu un nombre incalculable de livres, il parvient à mettre mes histoires en perspective d’autre œuvre et à identifier certains dispositifs narratifs que j’utilise, à bon ou à mauvais escient.
Sylviane, ma maman, corrige mes textes depuis mes quatorze ans. Si elle s’attache surtout à la forme, son œil me permet aussi de déceler les faiblesses en termes de rythme.
Valérie, ma compagne (qui ne s’intéresse pas à la littérature de l’imaginaire), est celle qui me relit le plus à la façon d’une lectrice. Ses commentaires sont importants pour détecter les parties où mon lectorat pourrait « décrocher ». Elle m’aide à me rendre compte des moments où j’ennuie tout le monde avec des explications trop détaillées sur des éléments d’univers.
Vous vous dites que cela représente beaucoup d’avis ? Non, car chaque personne porte un regard spécifique. Disposer de plusieurs points de vue permet de nuancer certaines critiques et de rendre les retours plus objectifs.
Et quand mes cinq bêta-lecteurs attirent mon attention sur un même problème (la redondance des « lueurs colorées »), il est alors urgent d’agir ;–)
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